L’auteur
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Gallica-BnF |
« J’avais déjà puisé l’année dernière, un renouvellement de force et de vitalité aux sources mêmes de la chaleur. Je savais que mon voyage avait pour but de me ramaner sous ce ciel clément qui ignore les frimas, et où le sombre hiver lui-même conserve la douceur et toutes les apparences du printemps, tellement il éclaire d’un beau soleil et sait se garder un splendide manteau de verdure, émaillé de fleurs et de fruits. » (p. 5)
Le voyage
« Il en faut le double par voie de terre. Le nouveau chemin de fer, dont l’ouverture est prochaine, n’en mettra guère que six. » (p. 28)
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Voyageurs, Bertall La Vie hors de chez soi, 1876 Gallica-BnF |
Manger à Nice
« C’est, comme je vous l’ai dit, précisément en bas de chez moi, que se trouve ma pension. Je l’ai prise plutôt à cause de sa proximité de mon logement que pour toute autre raison. Ce n’est pas qu’elle soit mauvaise. Elle est même une des meilleures de ce pays. Mais c’est toujours de la nourriture de Nice, c’est-à-dire du pays où l’on mange peut-être le moins bien. » (p. 36-37)
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Garçons de restaurant, Bertall La Vie hors de chez soi, 1876 Gallica-BnF |
Difficile de faire passer ces mauvais repas, car on boit aussi mal qu’on mange :
« D’abord le vin y est plus que médiocre ; mais il est presque impossible d’en trouver de meilleur dans toute la ville, et peut-être dans tout le pays, à moins de prendre des vins d’extra, d’un prix exagéré, et dont l’authenticité et la catholicité sont loin d’être prouvées. » (p. 37)
« Pour ce qui concerne les mets, la viande ici, excepté peut-être la viande de bœuf, est généralement mauvaise. Il n’y a d’abord pas dans le voisinage même vingt hectares de bons pâturages, et, quand il y en aurait, les campagnards de Nice n’entendent rien à l’éducation et encore moins à l’engraissement du bétail. Il faudrait pour qu’il en fût autrement qu’on trouvât le moyen d’engraisser les bêtes sans les faire manger. » (p. 37)
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Nice, pont sur le Paillon, gravure dans Nice and her Neighbours par S. Reynolds Hole, Londres 1881, Gallica-BnF |
Les Niçois eux-mêmes se nourrissent aussi mal qu’ils nourrissent leurs animaux :
« C’est du reste ainsi qu’ils se traitent eux-mêmes. Il est fabuleux combien peu les gens de Nice mangent, et quelle nourrriture encore ! un mauvais mélange, souvent sans beurre ni sel, de quelques légumes durs et coriaces, bouillis avec quelques pâtes de macaroni de basse qualité et de bas prix, voilà, sous le nom de minestra, le régal non seulement des gens de la campagne et du plus grand nombre de ceux de la classe ouvrière, mais même de beaucoup d’industriels et de marchands aisés de la ville. Et, comme je l’ai dit, leurs bestiaux quand ils en ont, ne sont ni mieux ni plus copieusement traités et nourris qu’eux-mêmes. » (p. 37-38)
« Vous parlerai-je maintenant de ce qui concerne le poisson ? Quoique nous soyons dans un port de mer, c’est à peine si l’on en voit, et, pour les obtenir, il faut le plus souvent donner des prix tellement élevés, que les tables d’hôte, même les mieux tenues, n’en peuvent guère servir que d’inférieure qualité. » (p. 38)
« D’abord pour en avoir à Nice il faudrait qu’on sût le pêcher. C’est ce que Messieurs les pêcheurs niçois n’ont jamais su. » (p. 38)
« La plupart d’entre eux n’ont que de petites barques à deux rames, sans mât ni voiles, avec lesquelles ils ne peuvent pas s’éloigner du rivage. Du reste les filets dont ils se servent ne permettent de pêcher que dans des bas-fonds et par une mer très calme, de sorte qu’il suffit de quelques jours de tourmente pour que le poisson manque totalement au marché, et que le peu qu’il y en a se vende, même dans les plus mauvaises qualités, à des prix fabuleux. » (p. 38)
« Pour ce qui est de la volaille, il est probable que la nourriture avec laquelle on l’engraisse a surtout la propriété de développer les os ; car j’ai rarment su ce que c’était d’y trouver de la chair autour. Restent donc quelques méchants lapins, qu’on nourrit de débris de légumes, de choux, de concombres etc., et dont la chair fade a besoin de tous les piments du civet pour avoir quelque goût. » (p. 38-39)
« Quant au laitage, il n’est point en abondance, et je le soupçonne d’être moins le produit naturel de la vache, que le résultat factice d’un mélange de farine et de jaunes d’œufs. » (p. 39)
« ..le sol est fertile, l’inintelligence seule des habitants les empêche de tirer un parti suffisant de sa fécondité. » (p. 39)
Niçois et Niçoises
« Avec les Niçois c’est encore pis. D’abord votre qualité d’étranger (pour eux est étranger quiconque n’est pas né dans le pays et ne parle pas leur affreux patois) votre qualité d’étranger, dis-je, fait qu’ils ne vous considèrent jamais, (habitassiez-vous leur ville depuis dix ans) que comme des pigeons plus ou moins gras et plus ou moins chargés de plumes dont ils espèrent bien avoir quelque profit. » (p. 58-59)
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Un Niçois, Bertall La Vie hors de chez soi, 1876 Gallica-BnF |
Heureusement, il y a un aspect positif : les Niçoises sont agréables à regarder :
« c’est enfin la jeune fille niçoise avec sa tournure élégante, son costume à la fois simple et coquet, sa démarche légère, son œil noir, sa figure souvent fine et piquante, et aussi sa coiffure originale de cheveux tombant en chignon sur le cou et retenus par un filet. » (p. 60)
« Vraiment la jeune fille niçoise ne manque ni de tact, ni de goût. Il y a presque en elle l’étoffe d’une Parisienne. » (p. 61 note 1)
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Une Niçoise sur une affiche de Pierre Comba, 1936 |
« Malheureusement, il ne faut pas qu’on l’entende parler. L’affreux patois du pays, quoique moins repoussant dans la bouche des femmes que dans celle des hommes, donne toutefois à la femme un air et un ensemble de physionomie vulgaire qui détruit tout le prestige extérieur de sa distinction native. Ce ne sont que des a-ki, a-ko, ka-t-a-ki, ka-t-a-ko, etc.; qui leur déchirent si disgracieusement le gosier et font faire à leur bouche de si vilaines grimaces, qu’il est impossible de ne pas se sentir rebuté et repoussé même de la plus belle, ou plutôt qu’il n’y a pas de beauté dont la pensée puisse se maintenir au milieu d’une pareille cacophonie ». (p. 61 note 1)
Promenade dans le Vieux-Nice
« Par le haut du cours, nous touchons au Palais de Justice, ancien palais du Sénat, et aux prisons. À gauche se trouvent les rues qui communiquent à la ville des Niçois, proprement dite, qui est aussi appelée l’ancienne ville. C’est un ramassis de rues étroites et tortueuses, bordées de vieilles et antiques maisons dont le rez-de-chaussée a, sous le nom de magasins, des trous noirs qui, quoique très profonds, ne reçoivent de lumière que par la porte. C’est encore un problème à résoudre comment les habitants peuvent se mouvoir et se reconnaître au milieu de cette obscurité. Eh ! bien, malgré cette obscurité, et malgré le peu de décoration de ces trous, où l’on ne voit que des murailles grossières et nues comme celles d’une cave, ils sont tous presque continuellement remplis d’acheteurs, et c’est merveilleux de voir, principalement dans la matinée, la foule qui se presse, entrant et sortant, à la porte et dans l’intérieur de ruches humaines. » (p. 71)
Une rue dans le Vieux-Nice.
« Avant l’annexion il existait, m’a-t-on dit, sous le régime piémontais, une très grande malpropreté de ces maisons et de la plupart des rues où elles se trouvent. Il n’était pas rare de voir ces rues encombrées jusque devant les maisons de toutes sortes d’immondices et d’ordures, quelques unes beaucoup trop peu inodores. » (p. 72)
« Les lois françaises sur la voirie, et les amendes qu’elles prononcent contre les contrevenants, y ont un peu mis ordre, ce qui n’a pas mal fait crier dans les premiers temps messieurs les Niçois, qui trouvaient très mauvais qu’on les dérangeât de leurs habitudes apathiques de malpropreté et d’incurie. Mais, aujourd’hui qu’on les a forcés de prendre des habitudes contraires, et de tenir propre le devant de leurs maisons, ils murmurent moins contre ce régime dont ils reconnaissent enfin les avantages, et ils étendent même les soins de propreté jusqu’à leur intérieur et à leur personne, qu’ils laissent beaucoup moins ronger de vermine, ce qui est déjà un immense progrès qu’ils devront à la domination française. » (p. 72)
Conclusion
D’autre part on peut, pour terminer, poser la question suivante : les touristes contemporains échappent-ils à ces jugements péjoratifs portés sur les natifs des pays qu’ils visitent, leurs habitudes et leur nourriture ?