« Souvenir affectueux
Campagne 1914
Claret »
« Mercury, 15 septembre 1914
Cher Monsieur Girardot,
J’ai reçu, toujours avec le plus grand plaisir,
votre carte, m’apportant de bonnes nouvelles ! Je
croyais que Mme Girardot avec André vous avaient
déjà rejoints. Ici beaucoup de terrtoriaux ont la
visite des leurs, malheureusement les miens sont
trop éloignés et je devrai fatalement attendre la fin
avant de les revoir. Enfin, ce qui me console, c’est que
les choses vont bien, ce qui activera sans doute le
dénouement final. Espérons que ce ne soit pas trop long.
Je me fais un plaisir de vous envoyer une de mes photos
que j’ai faites faire sur l’insistance de mon fils.
Dans l’espoir que votre santé est bonne je vous
serre cordialement la main
Claret »
Claret, l’expéditeur de la carte, laisse entendre qu’il fait partie des territoriaux et, comme son képi et son col portent le numéro 107, il est facile d’en déduire qu’il appartient au 107ème Régiment d’Infanterie Territoriale, basé à Annecy.
Claret serait donc né entre 1865 et 1880, ce qui est cohérent avec l’amitié qui le lie à mon bisaïeul né, lui, en 1878. La localisation de la carte à Mercury en Savoie permet aussi de savoir qu’il appartient au 4ème bataillon de ce régiment qui, le 15 septembre, est stationné à cet endroit.
Claret se plaint aussi de ne pas avoir de visites de ses proches, contrairement à ses camarades de troupe, car, ami de mon arrière-grand-père, il doit résider comme lui dans le sud de la France et sa famille doit avoir du mal à venir en Savoie. Mais, et c’est un des points intéressants de sa carte, il se rassure en se persuadant que la guerre ne durera pas longtemps : » ce qui me console, c’est que les choses vont bien, ce qui activera sans doute le dénouement final. Espérons que ce ne soit pas trop long. »
Certes en cette mi-septembre 1914 les Français viennent d’arrêter l’avance des Allemands sur la Marne. Mais pense-t-on encore, comme au début du mois d’août, que la guerre « fraîche et joyeuse » sera courte ? Claret le croit-il vraiment ou bien fait-il semblant d’y croire ? En tout cas il laisse percevoir un certain scepticisme en écrivant « Espérons que ce ne soit pas trop long. »
Qu’est-il advenu de ce simple soldat par la suite ? Le journal de marche de son régiment s’arrête au 11 février 1916, avec la dissolution de celui-ci. Il mentionne que, dès ce 15 septembre 1914, une grande partie des hommes appartenant aux « classes les plus jeunes » sont versés au 30ème et au 62ème régiments d’infanterie. L’état-major devait se rendre compte qu’il fallait renforcer les troupes de première ligne.
Or, le site Mémoire des Hommes cite deux morts nommés Claret, nés respectivement en 1872 et 1878, qui auraient pu commencer la guerre dans l’infanterie territoriale. Mais aucun de ces deux malheureux n’appartenait à l’un des régiments ci-dessus.
Quant au 107ème RIT, le 17 septembre il part pour Ligny-en-Barrois dans la Meuse. En octobre on le retrouve dans le Pas-de-Calais, puis une partie est dans l’Oise. Le 1er janvier 1915 le capitaine Thévenet, qui tient le journal du régiment, note que, près de Notre-Dame-de-Lorette, « Les obus allemands tombent et des balles passent à proximité des hommes. Pas de pertes. » Et il a souligné « Pas de pertes. » On retrouve ensuite une partie du régiment près de Troyes dans l’Aube.
Au début de 1916 les hommes sont répartis dans d’autres unités, en fonction de leur âge et de leur situation familiale. Certains sont même renvoyés à l’arrière pour travailler comme ouvriers d’usine.
Apparemment, Claret a survécu à la guerre : les registres militaires de la Haute-Savoie n’étant pas tous numérisés, il nous a été impossible de retrouver sa trace. Mais sa carte postale apporte un témoignage intéressant sur la façon dont un simple soldat, arraché à sa vie et à sa famille, arrivait à faire sienne en partie l’idéologie qu’on lui imposait.
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Steinlen Territoriaux |