Dans son numéro du 10 décembre 1852, le quotidien L’Avenir de Nice évoque un fait divers plutôt violent. Mais que les lecteurs du journal se rassurent, les auteurs du méfait « appartiennent à la classe ouvrière ». Il faut savoir qu’un « festin » est à Nice et dans son comté ce qu’un ducasse est dans le Nord ou une kilbe en Alsace, c’est-à-dire une fête populaire, ici liée à une paroisse et toujours bien arrosée : on peut présumer que les prévenus avaient procédé à des libations en l’honneur de Saint Roch. De plus, Nice n’étant pas française en ce temps-là, les articles du code pénal cités appartiennent à la législation du royaume de Piémont-Sardaigne, même si L’Avenir de Nice, qui est francophile, se proclame Journal des Alpes-Maritimes alors que ce département n’existe plus depuis 1814.
Le tribunal de première instance, sous la présidence de M. Massa, conseiller d’appel et premier président, s’est occupée mardi 7 du courant d’un procès dont l’annonce avait attiré, une foule assez considérable. Toutefois la nature des débats a empêché que la curiosité du public fût satisfaite et le huis-clos a été prononcé; aussi nous ne pouvons que résumer l’acte d’accusation et l’arrêt qui a été prononcé.
Les accusés au nombre de six, dont un contumax, appartiennent à la classe ouvrière ; aux termes de l’arrêt de mise en accusation ils sont inculpés : 1° d’avoir le 23 août dernier, de retour du festin de St-Roch, causé des dégâts dans l’auberge du Phénix, tenue par la femme G.. – , en brisant des bouteilles, des verres et des tableaux et détruit les fourneaux de la cuisine ; 2° de violation de domicile pour s’être introduits de force dans la chambre à coucher de la maîtresse d’auberge, d’y avoir abîmé des objets et commis du tapage et du désordre ; 3° de sévices et d’outrage à la pudeur contre la femme F…… G….…, âgée de 45 ans; et la fille Marie M…., âgée de 23 ans.
La chambre des mises en accusation a écarté deux autres chefs d’accusation qui n’ont pas été suffisamment démontrés dans le cours de l’instruction.
Le président a procédé à l’interrogatoire de chacun des accusés séparément et au moment où l’audition des témoins allait commencer, l’organe du ministère public a requis le huis-clos aux termes de l’article 518 du code d’Instruction criminelle. Le tribunal ayant admis le huis-clos le public a dû se retirer fort désappointé.
M. Scoffier, substitut de l’avocat fiscal a requis la condamnation à 3 ans de prison de tous les accusés, excepté pour l’un d’eux contre lequel, vu son âge, il s’est borné à demander la peine d’un an de prison.
Les défenseurs ont conclu a l’acquittement des accusés.
Le tribunal, après 9 heures de délibération, a rendu un arrêt dont voici le résumé :
« Attendu que les débats ont fourni la preuve que le 23 août de 8 à 9 heures du soir, une troupe de jeunes gens, de retour les uns du festin de St-Roch, les autres d’autre part, se sont introduits dans l’auberge de la femme G…, et, sans aucun motif raisonnable, y ont commis les désordres et dégâts décrits dans l’acte d’accusation ;
Qu’il est également prouvé, que ces jeunes gens, contre la volonté de la femme G… se sont violemment introduits dans sa chambre à coucher, où, après avoir éteint les lumières, ils auraient tenté d’abuser de la fille Marie M…, qu’ils ont insultée et battue en la traînant dans les escaliers ;
Que de pareils actes de brutalité ont été commis sur la personne de la fille Françoise R… ;
Qu’il est prouvé que les accusés sont les auteurs de ces délits ;
Attendu cependant que de ces débats il est pareillement résulté que l’auberge du Phénix sert de maison de rendez-vous, dans laquelle la fille Marie M… du consentement de la maîtresse de l’auberge se livrait à tout venant, et que cette circonstance doit être prise en considération en faveur des accusés dans l’application de la peine ; eu égard à l’âge de minorité de l’accusé B. ;
Le tribunal faisant application des articles 718, dernier alinéa, 244, 433 et 96 du code pénal.
Condamne les accusés B…, G…, C… et T… chacun à un an de prison et 80 fr. d’amende, l’accusé B…, à six mois de prison et à 60 fr. d’amende ;
Tous à l’indemnité et aux frais du procès. »
On annonce que quelques-uns des accusés vont se pourvoir en appel de ce jugement. »